jeudi 8 août 2013

Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède

Illustration de Vincent Dutrait
 
Le garçon refusait de croire qu'il avait été transformé en tomte. «Je dois être en train de rêver ou de délirer, pensa-t-il. Dans quelques instants je serai redevenu un être humain. »
Il s'avança devant le miroir et ferma les yeux pour ne les rouvrir qu'au bout de quelques minutes, certain qu'alors tout serait normal. Mais ce ne fut pas le cas, il était et restait aussi petit. À part cela il se trouvait exactement le même qu'avant. Les cheveux blond filasse et les taches de rousseur sur le nez et les pièces sur la culotte de cuir et la chaussette raccommodée, tout était pareil, à part que ça avait rétréci.
Non, inutile de rester immobile et d'attendre, ça, il le comprit vite. Il fallait trouver une solution. La plus sage était probablement de retrouver le tomte et de se réconcilier avec lui.
Il sauta par terre et commença à chercher. Il regarda derrière des chaises et des armoires et sous la banquette à couvercle et dans le four. Il se glissa même dans quelques trous de souris, mais impossible de retrouver ce tomte.
Tout en cherchant, il pleurait et priait et promettait tout ce qu'on peut imaginer. Plus jamais il ne manquerait à sa parole envers quelqu'un, plus jamais il ne serait méchant, plus jamais il ne s'endormirait au milieu du sermon. Pourvu seulement qu'il pût redevenir humain et il serait le meilleur des garçons, le plus gentil et le plus obéissant. Mais il avait beau promettre, c'était peine perdue.
Tout à coup, il se souvint que maman avait dit que le peuple des petits habitait souvent dans les étables, et sans tarder il décida d'y aller voir s'il retrouvait le tomte. Comme la porte de la maison était ouverte — sacrée chance, sinon jamais il n'aurait pu atteindre la serrure pour l'ouvrir — il put sortir sans peine.
Arrivé de l'autre côté de la porte, il chercha ses sabots, puisqu'à l'intérieur il marchait évidemment en chaussettes. Il se demandait comment il allait se débrouiller avec ses gros sabots lourds lorsqu'il vit une paire de petits sabots qui l'attendaient sur le seuil. Mais quand il comprit que le tomte avait poussé la sollicitude jusqu'à lui transformer aussi ses sabots, il n'en fut que plus inquiet. Apparemment, ce désastre était prévu pour durer longtemps.
Un moineau sautillait sur la vieille planche en chêne posée sur le seuil devant la porte. A peine vit-il le garçon qu'il se mit à pépier très fort : «Tuit ! Tuit ! Regardez Nils le gardeur d'oies ! Regardez ce petit Poucet ! Regardez Nils Holgersson Poucet ! »
Immédiatement, les oies et les poules tournèrent leurs yeux vers le garçon, et ce furent des caquètements épouvantables. «Cocorico, cria le coq, c'est bien fait pour lui. Cocorico, il m'a tiré la crête. » « Cot, cot, cot, c'est bien fait pour lui », crièrent les poules qui continuèrent ainsi comme si elles n'avaient plus voulu s'arrêter. Les oies se rassemblèrent en un mur compact, avancèrent leur tête et demandèrent : « Mais qui lui a fait ça ? Mais qui lui a fait ça ? »
Dans l'histoire, le plus étrange c'était que Nils comprenait ce que tous disaient. Il en fut si étonné qu'il s'arrêta sur le pas de la porte et écouta. « Ça doit être parce que j'ai été transformé en tomte, se dit-il, c'est sûrement pour ça que je comprends la voix des oiseaux. »
Mais comme il ne supportait pas d'entendre les poules répéter que c'était bien fait pour lui, il leur jeta une pierre en criant : « Taisez-vous, volatiles de malheur ! »
Mais il avait oublié qu'il n'était plus celui que les poules craignaient. Toute la bande de poules se précipita vers lui, l'encercla et cria : « Cot, cot, cot, c'est bien fait pour toi. Cot, cot, cot, c'est bien fait pour toi. »
Le garçon essaya alors de leur échapper, mais les poules le poursuivirent, et en criant si fort qu'il faillit en devenir sourd. Il ne leur aurait sans doute jamais échappé si le chat de la maison n'était pas arrivé. Dès que les poules l'aperçurent, elles se turent et firent comme si elles n'avaient d'autre idée en tête que de gratter le sol pour y trouver des vers.


Extrait du Merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède de Selma Lagerlöf



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