« J’avais 11 ans lorsque j’ai vu le premier épisode, se souvient J.J Abrams, réalisateur du futur
Star Wars 7, dont le tournage débutera en mai 2014.
Ce
film m’a marqué à jamais. Tout était possible, il existait dans
l’univers un monde inconnu, d’une incroyable richesse. C’est ce qui,
aujourd’hui encore, nous interpelle. »
Un monde inconnu ? Parle-t-il simplement d’un univers où d’autres
planètes sont peuplées, où les guerres se règlent dans les étoiles ? Pas
forcément. Sous ses allures classiques d’affrontement entre le bien et
le mal,
Star Wars évoque les arcanes éternels de l’humanité… et en donne les clés.
«
George Lucas a été très influencé par le travail de l’américain Joseph
Campbell sur les mythes, la façon dont ils s’articulent et ce qu’ils
nous enseignent », indique l’universitaire Paul-Georges Sansonetti dans l'émission de radio
Bob vous dit toute la vérité.
Depuis la nuit des temps, d’un bout à l’autre de la planète, ces récits
aux structures étrangement similaires ont pour but de nous transmettre
un message. Que nous révèle donc l’histoire de Luke Skywalker ?
Voyage initiatique
Au début de la saga, le héros est un jeune homme ordinaire. Un concours
de circonstances, pourtant, l’amène à s’extirper de son train-train,
traverser ses peurs, transcender ses doutes et ses blessures pour
relever des défis périlleux, en tirer une sagesse et accomplir un destin
extraordinaire.
« Son nom, déjà, n’a rien d’anodin, note Paul-Georges Sansonetti.
Skywalker : celui qui marche au ciel, qui va prendre la mesure de sa dimension céleste. »
Car là est bien le sujet, dans les parcours croisés de Luke et de son
père, Anakin, devenu le maléfique Dark Vador. Qu’est-ce qui, à un moment
donné, nous fait pencher vers l’ombre ou bien vers de la lumière ?
« Selon l’expression du Tao, il n’y a pas l’épaisseur d’un fil d’araignée entre le bien et le mal », rappelle Paul-Georges Sansonetti. A chaque instant,
« on peut basculer d’un côté ou de l’autre ».
La vie ne cesse de nous meurtrir, de nous challenger. Le choix est
nôtre : nous laisserons-nous aller à la peur, à la colère, l’impatience,
l’orgueil, la convoitise ou la soif de puissance, ou parviendrons-nous à
dépasser cette tentation pour affronter notre part d’ombre, parvenir à
la transcender et rayonner d’autre chose, plus vaste que nos égos ?
« Star Wars
transmet l’idée qu’on récolte toujours ce que l’on sème »,
note Paul-Georges Sansonetti. Mais la saga n’est pas qu’une histoire de
karma. Epaulé par la confrérie des chevaliers Jedi, Luke Skywalker
découvre peu à peu que la maîtrise de son intériorité peut l’ouvrir à un
monde plus vaste. Tout à la fois combattants de la justice et de la
paix, gardiens d’une vérité et mentors spirituels, ces Jedi – à la
croisée du Merlin du Roi Arthur, du Gandalf des hobbits, des Chevaliers
de la Table ronde et des Samouraïs – transmettent au jeune homme un
enseignement fondé sur la reconnaissance et la maîtrise de la Force,
« un champ d’énergie qui nous entoure, nous pénètre, lie tous les êtres vivants et toutes les galaxies »
- comme l’un d’eux dans le film. La notion n’est pas nouvelle : c’est
le Chi des chinois, le Prana des hindous, le Dieu des religions
monothéistes, le principe polynésien de Mana, le Ka de l’Egypte ancienne
« qui désigne à la fois la force vitale et spirituelle, et le corps subtil, explique Paul-Georges Sansonetti.
Pour
les égyptiens, le point de concentration du Ka était une colonne
représentant la colonne vertébrale d’Osiris, qu’ils appelaient le Djed »… Et dont Georges Lucas s’est peut-être inspiré pour nommer ses chevaliers.
L’entraînement que reçoit Luke Skywalker est donc une sorte de
« yoga »,
de discipline complète de l’être destinée à faire taire le bruit du
mental, se défaire des réflexes conditionnés, se relier à son intuition
et prendre peu à peu conscience que nous ne sommes pas que matière,
qu’une force subtile nous entoure, qu’il est possible de s’y connecter
et de l’utiliser, si tant est que nous parvenions à limer notre égo pour
atteindre l’unification du corps et de l’esprit, de soi et de tout le
reste. Alors, comme les Jedi, nous serons capables de pouvoirs qui
peuvent paraître extraordinaires (suggestion mentale, kinesthésie,
sixième sens, télépathie)… Mais qui sont décrits par toutes les sagesses
ancestrales, que ce soit le bouddhisme, le vedanta, l’alchimie ou la
cabbale, comme le signe d’une progression vers la lumière.
Vers la non-dualité
« Dans Star Wars,
ce yoga est enseigné depuis 800 ans par Yoda », remarque Paul-Georges Sansonetti, une espèce de tortue dont les oreilles pointues
«
captent les vibrations du monde. En extrême-Orient, la tortue incarne
la sagesse, parce qu’avec son ventre plat et carré, symbole du monde
matériel, et son dos rond, symbole du cosmos, elle se situe en équilibre
entre la Terre et le Ciel. Son nom renvoie aussi à yod, la plus petite
des lettres hébraïques, qui contient en germe toutes les autres. »
Pour les spécialistes, la saga fourmille ainsi d’informations codées. La
mère de Luke, par exemple, s’appelle Padme – « lotus » en sanskrit,
emblème de l’accomplissement spirituel ; elle vit sur la planète Naboo,
nom d’une divinité babylonienne de la sagesse ; elle règne sur un
environnement vert et généreux évocateur de Gaïa, aux antipodes du monde
métallique et sans âme mis en place par l’Empire. La maison mère de
l’ordre Jedi
« est un véritable mandala en trois dimensions, indique aussi Paul-Georges Sansonetti.
Elle
se compose d’une enceinte carrée, flanquée de quatre tours aux angles
et d’une tour centrale, symbole de l’axe qui permet de passer du monde
terrestre au monde céleste ».
Pour y parvenir, le héros a besoin de s’entourer. Comme Frodon avec la
Communauté de l’Anneau, Luke ne peut réussir sans ses compagnons. Une
fois encore, exit le dualisme et la présomption de penser qu’on est seul
assez puissant ! Les troupes qui finiront par vaincre le Mal sont
fortes de leur diversité : tous leurs membres sont différents, tous
savent mobiliser leurs ressources propres, coopérer et apprendre des
autres, au service d’un bien commun qui dépasse leurs individualités.
Dans
Star Wars, Han Solo se défait ainsi peu à peu de ses
postures de cowboy cynique et marginal pour s’ouvrir à l’altruisme, et
s’engager dans une cause qui ne le concerne pas directement.
Jusqu’à la leçon finale : quand Luke, toute peur et toute haine
dépassées, choisit d’essayer de ramener son père vers le bien, quitte à y
perdre la vie, puis quand Dark Vador décide de sortir son fils des
griffes de l’Empereur et de débarrasser la galaxie de celui-ci,
« on est en pleine alchimie »,
dit Paul-Georges Sansonetti : les dualités se réconcilient, l’équilibre
est rétabli, les ténèbres se convertissent en lumière. Cette force de
métamorphose est en nous. Toutes les sagesses traditionnelles s’en font
l’écho. De son acceptation, de sa compréhension, peut naître un rapport
au monde plus juste, plus profond, où matériel et spirituel, visible et
invisible cohabitent – comme à la fin de
Star Wars, quand les Jedi défunts se tiennent aux côtés des vivants.
Le message est toujours d’actualité : quelle place faisons-nous à la Force dans nos vies ? Lorsque George Lucas a imaginé
Star Wars,
le monde occidental aspirait à un changement de société : la France
sortait de mai 68, les Etats-Unis s’enlisaient dans la guerre du Vietnam
et le scandale du Watergate, le choc pétrolier engendrait de graves
tensions économiques… De tout temps, de la Rome antique à l’Allemagne
hitlérienne, le monde a vacillé sous les luttes de pouvoir, la
corruption, la perte de l’intérêt général, la volonté de
toute-puissance. Pourquoi en arrivons-nous là ? Que changer à nos façons
d’être et d’envisager le monde pour redonner à notre humanité un sens,
la reconnecter à sa source ? Quand l’homme comprendra-t-il qu’il ne peut
continuer dans le culte du « moi je » et de l’avoir ? Qu’il existe un
ordre et une force capables de le guider, de le connecter à tout
l’univers, de le relier à une justesse de vision, d’intention et
d’action ?
« Le film nous enseigne qu’il est utile d’ouvrir notre cœur à la part de mystère de la vie », conclut l’une des intervenantes du documentaire
Star Wars, les origines d’une saga. « Cela nous aide à accomplir notre propre voyage du héros. » Que le périple commence. Que la force soit avec nous.