vendredi 7 juin 2013

Le chirurgien et le marabout

La médecine moderne doit-elle s’opposer aux approches plus mystérieuses ? Pas pour Jean-Noël Fabiani. Ce directeur du département de chirurgie cardiovasculaire d’un grand hôpital parisien nous raconte comment un an en Afrique a changé son regard...

 « Oublie ce que tu sais et fie-toi à ton intuition. Laisse-toi pénétrer par l’esprit de l’Afrique. » Nous sommes au début des années 70. Jean-Noël Fabiani débarque pour la première fois sur le Continent noir. Alors interne des Hôpitaux de Paris, il vient prendre en charge la chirurgie d’un hôpital de brousse, au fin fond du Sahel. En héritage, son prédécesseur lui laisse ces quelques mots…

Intuition… Esprit… Voilà qui ne fait pas partie du vocabulaire de la médecine occidentale ! Face aux pathologies et aux mœurs africaines, très différentes de tout ce qu’il a appris et côtoyé jusque-là, le jeune docteur découvre pourtant leur pertinence, ainsi que celle du marabout local – capable de guérir avec une mystérieuse décoction d’herbes une hépatite virale qui résistait aux traitements allopathiques. « Je savais qu’il existait des médecines parallèles, commente Jean-Noël Fabiani, mais je n’imaginais pas que toute une population puisse être soignée par ceux que j’ai d’abord appelé des sorciers, avant de m’apercevoir qu’ils disposaient de qualités thérapeutiques non négligeables. » Excepté en chirurgie. « Dès qu’il apercevait un cas chirurgical, le marabout me l’adressait. Il avait compris bien avant moi la complémentarité de nos médecines. »

D’autres forces de guérison


Au grand dam de certains de ses collègues, qui ne voient là que charlatanisme et « bastion de l’ignorance », Jean-Noël Fabiani ressent la richesse de ces « médecines de l’expérience transmise, des recettes qui guérissent sans comprendre ». Il se lie avec le vieil érudit, perçoit sa capacité à lire les signes subtils de mal-être, note son intérêt pour les « raisons profondes », psychiques ou spirituelles, au-delà des symptômes physiques. De jour en jour, l’Afrique le bouscule, ouvre ses horizons, lui rappelle qu’il existe des informations que nous n’apprenons pas à lire, des forces dont nous nous sommes coupés. Comment expliquer par exemple que les vautours, sans jamais se tromper, se posent sur le toit du pavillon de chirurgie, à la verticale des lits des patients qui ne survivront pas ?

Jean-Noël Fabiani y fait l’expérience d’autres forces de guérison, à commencer par l’importance de la relation humaine et la « toute-puissance de l’effet placebo ». Quelle n’est pas sa surprise, par exemple, de voir un villageois repartir guéri, alors qu’il ne lui a fait que des radios ! « Il sait que tu t’es bien occupé de lui, c’est pour cela qu’il est guéri », commente alors un infirmier. Un autre jour, il retrouve un homme à qui il avait donné une aspirine pour son mal de tête avec un sparadrap sur le front. Au-dessous, le cachet. « Merci docteur, le mal a été guéri tout de suite. Il est très bien ton médicament, je le remettrai demain ! » lui dit le patient, hilare. « La confiance est fondamentale dans l’acte thérapeutique, confirme le médecin, y compris dans ma spécialité. Pendant la demi-heure de consultation préopératoire, le chirurgien doit être à l’écoute de la peur du patient, de la façon dont il conçoit sa maladie et dont il accepte le risque. Et celui-ci va devoir juger s’il consent à confier sa peau. Cet échange est d’une force considérable. »

Une approche intégrative

Petit à petit, Jean-Nöel Fabiani admet aussi l’idée qu’il peut être important, quand on est médecin, de lâcher la pure rationalité pour retrouver la « magie des artistes » et capter d’autres forces, en nous et autour de nous. Qu’à trop apprendre par des livres, on se coupe de l’humain. Qu’à trop nourrir sa tête, on oublie d’écouter ses sens. « Il m’arrive désormais souvent de percevoir que quelque chose ne va pas chez des gens qui se disent en pleine forme, indique-t-il. Je préconise quelques examens, qui révèlent que j’avais raison, alors que rien d’objectif ne me guidait ; seulement une impression, des petits signes : la façon de respirer, de se comporter… Des choses difficiles à exprimer. Dans notre jargon, on parle de sens clinique. Certains médecins ont un nez pour dépister une maladie, d’autres sont très enrhumés ! »

Depuis cette expérience qui a « profondément changé sa vie », le Professeur exhorte ses étudiants et ses jeunes collaborateurs à passer du temps à l’étranger, se frotter à d’autres malades, s’intéresser à d’autres approches de l’humain, du soin et de la guérison, avec curiosité et respect. Un jour peut-être, la science sera capable d’expliquer pourquoi ces médecines fonctionnent, et donc de mieux les intégrer. « De plus en plus de chercheurs y travaillent », se félicite-t-il. En Suisse, certains hôpitaux disposent déjà de listes de guérisseurs de confiance, afin notamment d’aider les malades dans la gestion de leur douleur. « Très bonne initiative ! A partir du moment où les gens souffrent, s’il existe une pratique susceptible de les soulager, même si elle n’est pas universitaire, on n’a pas le droit de les en priver », conclut Jean-Noël Fabiani.

 Source : www.inrees.com

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