Merci à Télérama de nous offrir dans le cadre de son festival, la possibilité de revoir cette réalisation forte et vibrante de François Dypeyron. Un film à la croisée des chemins, entre réalisme social qui nous fait découvrir la vie d'hommes et de femmes modestes, limite à la marge de la société comme on dit, et un cheminement initiatique, incarné par le personnage principal qui doit choisir de laisser passer la vie en lui, le don que la nature lui a offert pour se libérer et commencer à s'épanouir et aimer.
"François Dupeyron
réalise, pas souvent, pas assez souvent, des films irrésistibles par
leur sincérité, dont les titres sont toujours bizarres : Drôle d'endroit pour une rencontre, Un coeur qui bat, Inguélézi, Mon âme par toi guérie...
Des films qui collent au réel, mais qui sont tout sauf réalistes. Ils
se déroulent en France, mais une France rêvée, parfois cauchemardesque,
pas celle qu'on voit dans les journaux télévisés, en tout cas. Une
France embellie, métissée par d'autres influences cinématographiques :
l'Amérique, notamment. Le Midi où vit Frédi ressemble à celui où
débarque Matthias Schoenaerts au début de De rouille et d'os, de
Jacques Audiard. Lui-même, vaguement barbu, en cuir sur sa moto, a de
faux airs de Hells Angel de province, plus attendrissant qu'inquiétant.
Et les chansons qui l'accompagnent tout le temps, ballades rock chantées
en anglais, sont le reflet d'un ailleurs espéré...
Dans
les films de Dupeyron, les gens parlent toujours bien, c'est-à-dire
qu'ils font des mots, comme dans le grand cinéma français de jadis. Même
s'ils parlent « mal », en fait : mal embouchés, grossiers, presque
vulgaires, parfois, comme on l'est dans la vie, quand elle vous joue des
tours pendables. Chez lui, c'est la lumière des êtres qui importe. Et
la lumière tout court : envahissante, souvent, presque implacable. Ici,
le soleil semble, sans cesse, vouloir entrer dans le cadre, tel un
intrus. Ce sont les personnages qui l'en empêchent : ils lui tournent le
dos, ils le refusent. Logique : ce sont tous des êtres de refus...
Frédi,
par exemple. C'est un type aux yeux doux, comme le prince Muichkine,
l'« idiot » de Dostoïevski — il est épileptique comme lui. Comme le
prince face à son passé, Frédi refuse le don hérité de sa mère récemment
décédée : soulager les autres par l'imposition des mains... Massif,
taiseux (Grégory Gadebois, sublime), Frédi ressemble aux héros tragiques
des films noirs hollywoodiens — Robert Mitchum, John Garfield —,
souhaitant vivre en paix, mais toujours rattrapés par le destin : dans
le cas de Frédi, un accident qu'il a causé et ce don de guérisseur qu'il
repousse...
Nina (Céline Sallette), qu'il
rencontre — mais pas tout de suite : le salut, ça se mérite ! —, a un
don, elle aussi : se détruire. Elle va de bar en bar et de coupe en
coupe, jusqu'à ce que le néant l'engloutisse. Elle est grimaçante,
outrancière, mais toujours digne dans sa défaite acceptée. On n'a pas vu
à l'écran d'alcoolique aussi terrifiante et émouvante depuis le méconnu
Fat City, de John Huston, dans les années 1970... Nina erre, se
cogne aux autres et à elle-même, pitoyable et belle, couverte de bleus
invisibles. Comme tous les personnages du film, elle pourrait faire
sienne la formule d'Henri Calet : « Ne me secouez pas, je suis plein de larmes. »
Donc,
avec ses plans au plus près des visages, François Dupeyron contemple
son héros, cet autre lui-même, contempler la douleur des autres. La mère
de l'enfant accidenté qui, pour ne plus voir sa souffrance, souhaite sa
mort et s'en veut. Et l'amie (Marie Payet) qui lui hurle, en même temps
que sa frustration, un amour secret qu'il ne peut partager... Comme
John Huston, Dupeyron ne sait, ne veut filmer que des égarés
magnifiques, des perdants, des aventuriers ratés. Des réfractaires à ce
Dieu qu'ils vomissent, dont ils attendent un signe qui ne vient jamais —
à moins qu'ils ne sachent pas voir. « J'ai rêvé que le ciel me regardait, et j'ai peur »,
dit Frédi. Mais il filme, aussi, entre ces cabossés persuadés d'être
inguérissables, des liens qui, parce qu'ils les ont tissés dans la
peine, risquent de tenir bon. Mon âme par toi guérie n'est rien d'autre, en fait, que l'histoire, romanesque et banale, d'un amour qui se fait.
L'espoir
n'est pas loin. La preuve : l'étrange gamine de Frédi. Elle ressemble à
la fille du « stalker » de Tarkovski, qui, par la seule force de son
regard, parvenait à faire bouger des objets. Apparemment, Lucie semble,
comme les autres, prisonnière de ses tourments. Mais, sur une plage, la
voilà qui s'accroche, soudain, à un cerf-volant qui trône dans le ciel.
Elle quitte le sol. Durant quelques secondes, elle vole... — Pierre
Murat"
Source : Télérama
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