Joyeux Noël à tous ! Pour l'occasion un petit cadeau qui reflète pleinement l'esprit de Noël. Il s'agit d'un court récit autobiographique de la grande Selma Lagerlof, la maman de Nils Holgerson. Elle y évoque le plaisir de l'attente, le partage d'un moment convivial en famille, jusqu'au moment de l'ouverture des cadeaux et, dans la simplicité, la découverte de celui qui va la faire voyager loin à la rencontre de mondes merveilleux :
« Rien ne peut surpasser le bonheur de se trouver là, avec dans les mains un livre plaisant reçu en cadeau pour Noël, un livre que l’on n’avait jamais vu auparavant et que personne d’autre dans cette maison ne connaît non plus, et de savoir que l’on pourra en lire les pages l’une après l’autre, pour autant que l’on sache rester éveillé. Mais que faire durant la nuit de Noël si l’on n’a pas reçu de livre ? »
Et vous, avez-vous reçu votre livre de Noël ou son équivalent ?
Voici ci dessous la retranscription du "Le livre de Noël', provenant du recueil du même nom
Le livre de Noël
"Nous
sommes assis autour de la grande table à rallonges, un soir de
réveillon à Marbacka. Papa à l'une des extrémités, maman à
l'autre.
Oncle
Wachenfeldt est là aussi -et tante Lovisa, et Daniel, Anna, Gerda et
moi. Comme toujours, Gerda et moi sommes assises de part et d'autre
de maman, parce que nous sommes les plus jeunes. L'image reste très
claire dans mon esprit.
Nous
avons mangé de la morue "à la lessive", le riz au lait et
les millefeuilles. Assiettes, cuillers, couteaux et fourchettes ont
été débarrassés mais la nappe est restée. Les deux bougies à
plusieurs branches fabriquées maison brûlent dans leurs candélabres
au milieu de la table, entourées de la salière, du sucrier, de
l'huilier et d'un gros cruchon en argent, rempli à ras bord de bière
de Noël.
Le
repas étant terminé, nous devrions quitter la table, mais ce n'est
pas le cas. Nous restons assis dans l'attente de la distribution des
cadeaux de Noël.
Nulle
part ailleurs dans la région qu'à Marbacka on distribue ainsi les
cadeaux de Noël après avoir mangé le riz au lait traditionnel.
Mais à Marbacka subsistent d'anciennes coutumes et qui nous
conviennent. Rien ne peut égaler cette attente qui, des heures
durant, tout au long de le veille de Noël, se prolonge parce que
l'on sait que le meilleur reste à venir. Le temps s'écoule
lentement, très lentement, mais nous sommes convaincus que les
autres enfants, qui ont reçu leurs cadeaux vers sept ou huit heures,
n'ont pas éprouvé cette jouissance qui est la nôtre en ce moment,
en cet instant tant attendu et qui enfin arrive.
Les
yeux brillent, les joues s'enflamment, les mains tremblent lorsque la
porte s'ouvre pour laisser entrer les deux domestiques déguisés en
boucs de Noël et qui traînent deux grosses hottes pleines de
paquets jusqu'à la place de maman.
Puis
maman en extrait un paquet après l'autre, sans se presser outre
mesure. Elle lit le nom du destinataire, parcourt avec difficulté
les vers rimés gribouillés qui accompagnent les cadeaux, puis enfin
les tend.
Pratiquement
muets durant les premiers instants, tandis que nous brisons les
sceaux et déplions les papiers, nous poussons bientôt, l'un après
l'autre, un cri de joie. Puis nous parlons, rions, examinons
l'écriture sur nos paquets, comparons nos cadeaux et laissons la
joie nous envahir.
Le
réveillon auquel je pense en ce moment, je venais d'avoir dix ans et
je suis assise à la table de Noël aussi impatiente et tendue qu'on
peut l'être. Je sais si bien ce que j'aimerais recevoir. Il ne
s'agit ni de beaux tissus pour confectionner des robes, ni de
dentelles ou de broches, ni de patins à glace ou sachets de
friandises ; non, il s'agit de tout autre chose. Pourvu que quelqu'un
ait l'idée de me l'offrir !
Le
premier cadeau que je sors de son emballage est une boîte à
ouvrage, et je comprends immédiatement qu'il est de maman. La boîte
contient de nombreuses petites cases à l'intérieur desquelles elle
a rangé des paquets d'aiguilles, de la laine à repriser, un
écheveau de soie noire, de la cire et du fil. Maman tient sans doute
à me rappeler que je devrais essayer de faire des progrès en
couture et pas seulement songer à la lecture.
Anna
m'offre une petite pelote à épingles très joliment galonnée et
qui s'adapte à une des cases de la boîte à ouvrage. Tante Lovisa
me fait cadeau d'un dé à coudre en argent, et Gerda a brodé un
petit modèle d'initiales qui me permettra dorénavant de marquer
moi-même mes bas et mes mouchoirs. Aline et Emma Laurell sont
rentrées chez elles, à Karlstad, mais elles ont pensé à moi et à
nous tous. De la part d'Aline, on me tend de petits ciseaux de
brodeuse, rangés dans un étui qu'Aline a confectionné elle-même,
à partir d'une pince de homard et d'un coupon de soie. Emma m'offre
un petit hérisson de laine rouge, bardé d'épingles en place de ses
piquants.
Toutes
ces petites choses que je viens de recevoir sont avant tout pratiques
mais je commence à m'inquiéter. J'ai là tout ce qu'il faut pour la
couture. Mais si jamais je ne recevais pas ce que j'espère !
Car
il me faut expliquer comment les choses se passent à Marbacka le
soir du réveillon. On a le droit de tirer une petite table au chevet
de son lit et d'y poser une bougie, et puis l'on a le droit de lire
aussi longtemps qu'on le désire. Et cela constitue le plus grand des
plaisirs de Noël. Rien ne peut surpasser le bonheur de se trouver
là, avec dans les mains un livre plaisant reçu en cadeau de Noël,
un livre qu'on n'avais jamais vu auparavant et que personne d'autre
dans cette maison ne connaît non plus, et de savoir que l'on pourra
en lire les pages l'une après l'autre, pour autant que l'on sache
rester éveillé. Mais que faire durant la nuit de Noël si l'on n'a
pas reçu de livre ?
C'est
à cela que je pense tandis que, un élément après l'autre, je
découvre mon nécessaire de couture. Mes oreilles commencent à
s'échauffer, assurément il s'agit là d'une véritable coalition.
Et si jamais je ne recevais pas de livre de Noël ?
Daniel
m'offre une délicate aiguille à crocheter en os, Johan une jolie
petite plaque à enrouler les écheveaux et, pour finir, papa me
présente un gros cadeau : un tambour à broder qu'il a commandé à
l'excellent menuisier d'Askerby. Parfaitement identique,
m'explique-t-il, à celui que ses soeurs utilisaient quand elles et
lui étaient petits.
-
Tu deviendras sûrement une excellente couturière, me dit maman,
avec toutes ces jolies choses qu'on t'a offertes.
Les
autres rient. On voit à mon air que les cadeaux reçus ne me
satisfont pas pleinement, et tous trouvent sans doute qu'ils m'ont
joué un bon tour.
La
distribution tire à sa fin et, avec tous ces cadeaux reçus, je ne
peux guère m'attendre à plus.
Tante
Lovisa a reçu un roman et deux almanachs, le Svea et le Nornan, dont
je profiterai certainement moi aussi un jour, mais que ma tante lira
en premier. Oh non, ce n'est pas simple d'avoir l'air gaie et de
prendre son parti d'une telle situation.
Quand
maman sort le dernier paquet de la hotte à cadeaux, je comprends à
sa forme qu'il s'agit d'un livre. Il ne sera bien évidemment pas
pour moi. On a sans doute décidé d'avance que je n'aurai pas de
livre.
Le
paquet m'est adressé, pourtant et, dès que je le tiens entre mes
mains, je sens qu'il s'agit bien d'un livre. Je rougis à l'instant
et, dans ma précipitation pour emprunter les ciseaux, je pousse
presque des cris. Je coupe la ficelle, j'arrache le papier à toute
vitesse, et voilà devant mes yeux le plus joli des livres, un livre
de contes de fées. Ce que je comprends en regardant l'image de la
couverture.
Je
sens que tous autour de la table me regardent. Ils savent bien sûr
que ceci est mon meilleur cadeau, le seul qui me fasse véritablement
plaisir.
-
Quel livre as-tu reçu ? demande Daniel en se penchant vers moi.
J'ouvre
la couverture et reste bouche bée à regarder la page de titre. Je
ne comprends pas un mot.
-
Fais voir ! dit-il, puis il lit : Nouveaux contes de fées pour les
petits enfants, par Mme la comtesse de Ségur.
Il
referme le livre et me le rend.
-
C'est un livre de contes en français, me dit-il. Tu vas avoir de
quoi t'amuser.
Durant
un semestre, Aline Laurell m'a donné des cours de français mais,
maintenant que je feuillette les pages de ce livre, je n'en comprends
pas un mot.
Recevoir
un livre en français est presque pire que de ne pas recevoir de
livre du tout. J'ai du mal à retenir mes larmes mais, heureusement,
j'aperçois une des planches illustrées.
Là,
la plus charmante des petites princesses voyage dans une voiture
attelée à deux autruches et, sur le dos d'un des deux oiseaux,
chevauche un jeune page portant un chapeau décoré de plumes et une
veste brodée d'armoiries. La princesse elle-même arbore de grandes
manches bouffantes et un large col luxuriant. Les autruches sont
coiffées de longs panaches et les rênes sont doublées d'épaisses
chaînes en or. Rien ne saurait être plus gracieux.
A
mesure que je feuillette, je découvre alors un véritable trésor de
planches illustrées sur lesquelles figurent de fières comtesses,
des rois magnifiques, de nobles chevaliers, des fées étincelantes,
d'abominables sorcières, de merveilleux châteaux enchantés. Non,
on ne pleure pas sur un tel livre, fût-il en français.
Et,
durant toute la nuit de Noël, je reste allongée à contempler les
images, et surtout la première, celle aux autruches qui, à elle
seule, suffit à distraire pendant des heures.
Le
jour de Noël, dès après la messe du matin, je sors un petit
dictionnaire français et me lance dans la lecture du livre.
Ce
n'est pas facile. J'ai, jusque-là, seulement étudié avec la
méthode Grönlund. Si ces contes de fées parlaient du "petit
chapeau du grand homme" ou du "parapluie vert du bon
menuisier", je comprendrais, mais comment me débrouiller dans
un tel texte en français et se déroulant sur plusieurs pages ?
Le
livre de contes commence ainsi : Il était une fois un roi. Qu'est-ce
que cela peut pouvoir dire ? Une heure au moins s'écoule avant que
je sois capable de comprendre comment cela peut se traduire.
Mais
les dessins m'attirent. Je veux savoir ce qu'ils représentent. Je
devine, et je cherche dans le dictionnaire et ainsi progresse,
laborieusement, ligne par ligne.
Et,
quand vient la fin des congés de Noël, le joli petit livre m'a
enseigné plus de français que ce que j'aurais assimilé en
plusieurs années avec la méthode Aline Laurell et Grönlund."
2 commentaires:
Merci pour ce joli cadeau, le nom de Selma Lagerlof évoque pour moi le souvenir de ma grand grand-mère qui , quand j'étais enfant, me lisait Le merveilleux voyage de Nils Holgersson, assise dans dans son canapé vert je voyageais à travers la Suède... Je l'ai lu ensuite avec toujours le même émerveillement et j'ai lu aussi Marbacka, il y a longtemps et je suis vraiment heureuse de relire ici ce si beau passage.
Bien heureux d'apprendre que ce partage t'ait fait plaisir Mingingi :) Et c'est un précieux cadeau que t'a fait ta grand mère en te lisant les aventures de Nils Holgersson quand tu étais enfant. Ce sont des moments qui je ne doute pas restent inoubliables, des graines de merveilleux qui germent en nous tout au long de notre vie ensuite...
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